Les enjeux d’une définition claire de l’impact social et environnemental
Le terme d’impact est souvent, en résumé, un synonyme de changement ou de transformation générée par une activité. Sommes-nous capable de définir plus précisément l’impact social et environnemental ?
Aujourd’hui, il existe plusieurs définitions distinctes de l’impact social et environnemental, avec cependant des bases communes. Il existe aussi des méthodes reconnues d’évaluation ou de mesure de l’impact, qui sont très diverses.
La diversité des approches est certainement nécessaire : la liberté d’initiative et la créativité de l’innovation sociale sont des richesses pour prendre en compte la complexité du fait social, toujours mouvant, et notamment celle du monde associatif. Dans ce sens, de nombreux acteurs tels que La Fonda ont travaillé sur des approches participatives et sur la notion d’impact collectif – voir notamment le Guide du Faire ensemble de la Fonda.
La profusion et une hétérogénéité trop grande des approches peut cependant entraîner un manque de lisibilité et une difficulté pour établir des règles claires et un langage partagé. Si une approche « originale » au niveau d’une association locale est acceptable et peut même être positivement innovante, un langage commun devient très utile pour les projets qui touchent une grande échelle. Pour le secteur public, la compréhension commune autour des impacts visés par les politiques publiques est un enjeu démocratique majeur.
Or, un des effets de la compétition économique actuelle est qu’une prime est souvent offerte aux moins-disants et aux moins exigeants en matière d’approche de l’impact. Certains acteurs cherchent des évaluations « low cost », et ainsi des évaluateurs prêts à parler d’impact tout en s’appuyant sur des méthodes parfois très faibles. Cette problématique tend à freiner la sensibilisation à l’impact social et environnemental en France, ainsi que le soutien des acteurs par les pouvoirs publics et les institutions. C’est également une porte ouverte à l’impact washing, au social washing, au green washing. Nous présentons ci-dessous quelques éléments d’éclairage et de contexte historique. Nous invitons aussi les lecteurs qui ont plus de temps à consulter l’excellente revue de littérature de l’INJEP sur le sujet parue en 2023.
L’objectif de cet article est simple : rappeler quelques définitions et nuances qui sont aujourd’hui globablement acceptées par les acteurs de l’impact, et contribuer à un développement éclairé de l’évaluation et de la mesure de l’impact.
Quelques définition de l’impact social en France et dans le monde
La définition de l’impact social par le CSESS
Le Conseil Supérieur de l’Économie Sociale et Solidaire (CSESS) définit l’impact social comme « l’ensemble des conséquences (évolutions, inflexions, changements, ruptures) des activités d’une organisation tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, usagers, clients) directes ou indirectes de son territoire et internes (salariés, bénévoles, volontaires), que sur la société en général. Dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, il est issu de la capacité de l’organisation (ou d’un groupe d’organisations) à anticiper des besoins pas ou mal satisfaits et à y répondre, via ses missions de prévention, réparation ou compensation. Il se traduit en termes de bien-être individuel, de comportements, de capabilités, de pratiques sectorielles, d’innovations sociales ou de décisions publiques. »
Cette définition française de l’impact social a l’avantage d’être assez claire, relativement alignée à la pratique internationale, et d’introduire aussi la notion d’utilité sociale qui est spécifique à l’économie sociale et solidaire, et complémentaire voire à la source de l’impact social dans ce secteur.
La définition de l’impact social au niveau Européen
L’OCDE et la Commission Européenne mettent en avant différentes approches de la vision de l’impact, notamment l’approche positiviste, l’approche interprétative et l’approche critique.
« Ces trois conceptualisations correspondent à différents objectifs stratégiques pour les entrepreneurs sociaux : les pratiques de reporting positivistes visent à améliorer les performances opérationnelles et à stimuler l’innovation ; les pratiques critiques se basent sur le principe démocratique de responsabilité vis-à-vis des parties prenantes; le reporting interprétatif développe et maintient la légitimité́ organisationnelle. » Ces approches sont bien évidemment complémentaires et demandent une grille de lecture affutée.
Il existe également l’approche « taille unique » qui va appliquer un ensemble d’indicateurs identiques à toutes les structures accompagnées et une autre approche qui va proposer des indicateurs plus personnalisés en fonction des structures évaluées.
Le GECES (Groupe d’Experts de la Commission sur l’Entrepreneuriat Social de la Commission européenne) met en avant les parties prenantes, et parle de l’impact social comme le « reflet des effets sociaux, tels que les mesures à long et à court terme, ajusté en fonction des effets obtenus par d’autres (attribution alternative), des effets qui se seraient produits de toute façon (effet d’aubaine), des conséquences négatives (déplacement) et des effets déclinant avec le temps (diminution). »
Cette définition rigoureuse est orientée sur la mesure de l’impact pour essayer de rendre celle-ci plus objective. Elle a l’avantage de valoriser les effets extérieur qui peuvent influer sur le résultat d’une action. Elle considère, à juste titre, qu’un résultat observé peut être influencé par plusieurs facteurs, et que pour évaluer un impact, on doit prendre en compte le contexte.
La définition de l’impact au niveau européen et international
La Commission Européenne et les autres institutions internationales ont aujourd’hui un consensus : « la mesure de l’impact est fondée sur un modèle largement reconnu et répondant au nom de « chaîne de valeur de l’impact », de « théorie du changement » ou de « modèle logique »
Cette notion de chaîne de valeur de l’impact est donc globalement acceptée de façon majoritaire bien que d’autres approches existent (voir la revue de littérature INJEP citée plus haut). Cependant, elle n’est pas encore interprétée exactement de la même manière par les acteurs de l’impact. En effet, certains ne vont pas distinguer les résultats et l’impact, créant ainsi une nouvelle confusion dans la définition de l’impact. De plus, la traduction de « Outcomes » va différer d’un acteur à un autre, certains vont parler de « résultats » alors que « effets » ou « conséquences » seraient beaucoup plus adaptés à la logique de cette chaîne. Les pratiques sont néanmoins en train de s’harmoniser sous l’influence des institutions internationales.
Evaluer la valeur sociale : une petite histoire de l’utilité sociale et de l’impact social
L’impact social et environnemental n’est pas une notion récente, elle est utilisée depuis les années 1970 par des acteurs de la recherche aux Etats-Unis, pour mieux comprendre la responsabilité éthique des investisseurs. Elle est aussi mobilisée par les organisations, et notamment les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) en France, que cela soit pour rendre des comptes à leurs partenaires ou financeurs ou pour engager des démarches d’amélioration continue. Bien souvent, l’impact est synonyme de changement ou de valeur sociale créée. Aujourd’hui, face aux enjeux sociétaux et environnementaux qui sont notamment formulés dans les Objectifs de Développement Durable (ODD), il est utile de mettre en lumière ce qui rapproche les différentes définitions de l’impact social et environnemental, afin d’accompagner toutes les structures de l’ESS dans l’atteinte de leurs objectifs et la soutenabilité de leurs actions.
La définition de l’impact social et de l’utilité sociale au sein du monde académique français
Dans le monde académique français, la notion qui a été mobilisée historiquement est d’abord la notion “d’utilité sociale”. L’émergence de la notion remonte à un arrêt du Conseil d’Etat de 1970, qui autorise l’exonération fiscale pour des structures associatives. Cette notion a été explorée dans les années 2000 par de nombreux auteurs comme Jean Gadrey, Diane Rodet, Matthieu Hély, Jacqueline Mengin, Henri Noguès ou Laurent Fraisse. Pendant longtemps, la définition de l’utilité sociale a été l’enjeu de controverses pour des raisons multiples résumées par Diane Rodet dans cet article de 2008. En 2014, un premier consensus a été trouvé et l’utilité sociale est actuellement définie en France par l’article 2 de la loi Hamon de 2014 sur l’économie sociale et solidaire, au moins pour ce qui concerne les entreprises de l’ESS.
En France, le développement de la notion d’impact social a été plus fort à partir des années 2010, notamment sous l’influence du monde anglo-saxon.
L’ESSEC et son Labo E&MISE ainsi que l’AVISE ont fait partie des pionniers pour formaliser des méthodes et expérimenter des démarches d’évaluation de l’impact social. Pour le Centre d’Innovation Sociale et Écologique de l’ESSEC : « L’évaluation de l’impact social peut être définie comme une démarche qui vise à décrire, analyser et objectiver les effets d’une initiative dont la finalité est d’apporter une réponse à des besoins sociaux identifiés chez des individus ou groupes d’individus. ». D’après le Panorama de l’évaluation d’impact social de l’ESSEC, les structures souhaitent évaluer l’impact de leurs actions pour : mieux connaître les effets de son action, de rendre des comptes, améliorer la connaissance des bénéficiaires et de leurs besoins, préciser l’ambition et la finalité́ du projet ou encore pour communiquer auprès de ses parties prenantes. D’après les résultats de ce même Panorama, « l’évaluation d’impact social est encore peu intégrée dès le départ dans les conventions et les relations avec les partenaires » et « la plupart des structures interrogées ne se réfère pas à un standard défini au niveau national ou international pour évaluer l’impact social des financements. Deux structures se réfèrent aux ODD et une aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). ». Ce panorama met en avant la nécessité de définir l’impact social, de proposer des indicateurs et former ou accompagner les structures de l’ESS ainsi que les entreprises sociales. Bien qu’ayant des origines différentes, les deux notions sont complémentaires et visent à valoriser les projets qui portent des changements sociaux ou environnementaux. Ainsi, l’évaluation de l’utilité ou de l’impact se base sur la définition théorique des effets d’un projet. En octobre 2020, dans le cadre de la conférence annuelle Social Value Matters du réseau international Social Value International, Adrien Baudet, consultant-chercheur, fondateur de Koreis et Elena Lasida, Professeur d’économie à l’Institut Catholique de Paris, ont exploré les convergences et les différences des deux notions.
L’impact social, quelle éthique et quelles stratégies ?
L’impact social est, nous l’avons vu, un regard sur les résultats des actions menées et notamment sur la contribution de ces résultats à des enjeux de long terme. Cet intérêt pour les résultats est le signe d’une éthique conséquentialiste. L’utilité sociale est une notion qui intègre un conscience des résultats mais aussi une réflexion plus large sur la culture d’une organisation, sur la pertinence de l’action et sur la manière dont celle-ci s’est construite et dont elle s’opère, en s’appuyant notamment sur la notion de territoire. Dans l’évaluation de l’utilité sociale, la mesure de l’impact social est intégrée à une démarche plus globale, et n’a pas toujours une place centrale. On pourrait dire, d’un point de vue philosophique, que la notion d’utilité sociale ajoute une dimension déontologique mettant en valeur les principes à l’œuvre, face à la mesure de l’impact social plus centrée sur les résultats. L’impact et l’utilité sociale concernent toutes les deux un changement voulu par les acteurs, qui orientent grandement leur action.
Ce changement recherché est généralement encadré par la définition d’une mission pour l’organisation. En ce sens, l’impact et l’utilité sociale partagent une éthique téléologique, qui met l’accent sur les finalités. Cette éthique téléologique est centrale pour les entreprises qui sont devenues des entreprises à mission après la loi Pacte de 2016 – et qui, nous l’espérons, sauront aller plus loin que les objectifs affichés et les engagements de moyens pour faire la preuve de leur impact et de leur utilité.
L’impact n’est pas uniquement une réduction des externalités négatives, c’est-à-dire une tentative de mitigation des conséquences négatives de l’action d’une organisation : cette approche est plutôt celle des pratiques de Responsabilité sociale des entreprises (RSE). L’impact vise quant à lui plutôt la maximisation d’externalités positives sous la forme de changements sociaux ou environnementaux. Cet objectif de changements positifs peut être “annexe” à un projet – c’est généralement ce qui est entendu par le terme “stratégie à impact”; en ce sens que la stratégie intègre des objectifs d’impact social ou environnemental mais qu’elle reste essentiellement guidée par d’autres objectifs tels que la croissance économique ou la rentabilité. Cet objectif de changement positif peut aussi être la finalité essentielle voire unique d’un projet, c’est notamment le cas de beaucoup d’organisations d’intérêt général ou d’utilité publique, ainsi que d’autres acteurs publics ou du secteur de l’économique social et solidaire. Dans ce cas, où lorsque l’impact est la finalité d’un projet et placé au dessus des autres finalités nous préférons chez Aginso parler de “stratégie d’impact”.
En fait, pourquoi définir l’impact ?
L’utilité possible des démarches d’évaluation d’impact social et environnemental est de revoir nos pratiques et de réorienter nos économies pour garantir une planète qui reste vivable et équitable. Afin que les stratégies d’impact puissent être au service de la société humaine à commencer par les structures de l’ESS ou les services publics, il nous semble utile d’établir une culture de l’impact avec une définition commune. Comme le dit l’ESSEC, « une définition sans ambiguïté est plus que nécessaire pour répondre aux défis sociaux et environnementaux actuels afin d’éviter l’impact washing. » De nombreux acteurs, praticiens et chercheurs, ont innové depuis plusieurs décennies dans le champ de l’impact social, au point où les approches se sont multipliées. Aujourd’hui, le secteur de l’impact pourrait gagner à sélectionner, parmi les différentes méthodes, celles qui sont les plus simples, et faire l’effort de les rendre accessibles et utilisables par toutes les organisations, même celles qui disposent de moins de ressources.
Au fond, l’établissement de pratiques partagées, voire de normes internationales en matière d’impact, pourrait faciliter une compréhension commune des organisations et des citoyens. Si la connaissance relative aux impacts de nos actions est plus facilement partagée, elle pourra plus facilement se transmettre dans l’éducation publique et dans l’éducation populaire. Cette compréhension des conséquences des actions engagées par une personne nous semble essentielle pour la société et pour la planète, mais aussi pour l’émancipation des personnes physiques et des personnes morales qui doivent évoluer dans un monde de plus en plus complexe.
Sources :
2015, Synthèse sur la mesure de l’impact social des entreprises sociales par Commission européenne et l’OCDE.
2021, panorama de l’évaluation d’impact social en France par l’ESSEC et Impact Tank
2014, Mesure de l’impact social – Commission Européenne
Centre de l’innovation sociale et écologique de l’ESSEC